…autolâtrie
« Une Delage au grand prix de l’Automobile-Club de France de 1912 »
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Cette photographie qui fige paradoxalement un bolide en état d’inertie fait dès à présent partie de notre mémoire collective. et c’est Jacques Henri Lartigue (1894-1986) qui en ce 13 juillet 1913 réalisa ce cliché si connu, après avoir planté son ICA reflex utilisant des plaques 9 X 12 au bord d’une route de la campagne picarde. La société des Amis de JH Lartigue mentionne une Delage au grand prix de l’Automobile-Club de France de 1912. D’autres identifient l’automobile comme étant une Th. Schneider.
Mais c’est aux curieux que j’adresse ce papier. A ceux qui se demandent encore pourquoi, nos grand-pères montaient d’improbables roues ovales sur leurs autos lorsqu’ils couraient la coupe Gordon Bennett ou la Course de Côte du Mont Ventoux. La vitesse était un phénomène nouveau et certains "futuristes" auraient-ils pensé qu’en divisant une distance par un temps on en vérifierait l’équation par une ellipse? Et bien la vérité est plus simple bien qu’il faille tout de même faire appel ici, à la loi de la relativité de l’espace et du temps. Seul Albert Einstein aurait parlé de gravité, en regardant cette image, alors que tout y est bancale. Ou plus précisément de "gravitation", c’est à dire une manifestation de la déformation de l’espace-temps produite par la distribution de matière. C’est au photographe JH Lartigue et non aux pilotes que l’on doit cette invention géniale d’expressivité de la vitesse. Au début, comme toute invention magnifique, cette image fut mise au rebut. “ Pour faire une roue en mouvement, personne ne songe plus à l’observer immobile, à compter ses rayons, à en tracer le cercle puis à le dessiner en mouvement. Ce serait impossible ”, écrit le peintre Umberto Boccioni en 1914. Et les solutions plastiques qu’ils trouvèrent pour représenter le mouvement : flou, décadrage, déformation etc., ne sont pas sans rappeler les effets obtenus accidentellement dans cette image à la même période. Qualifiée donc de "ratée" à l’égard des académismes artistiques de l’époque et des "canons photographiques" en vigueur, elle fut progressivement réintégrée jusqu’à devenir un chef d’oeuvre unanimement reconnu et figure, depuis, au panthéon des meilleures photos du XXe siècle. Elle représente à elle seule une icône de la mobilité et de la célérité. Seuls les accidents photographiques ont toujours un heureux dénouement! Tout ce qui avait fait que l’image était ratée participe maintenant à son dynamisme: le flou de «bougé», la déformation des roues, les spectateurs cloués sur place par une déformation inverse de celle de la voiture et le cadrage de la voiture qui va tellement vite qu’elle a bel et bien failli sortir définitivement du cadre et ne pas figurer sur l’instantané. Pourtant, par cette photo, Lartigue s’inscrit miraculeusement, lui aussi, dans le mouvement d’un siècle amorcé par le futurisme (« Une automobile rugissante, qui a l’air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace », Filippo Tommaso Marinetti, Manifeste du futurisme, 20 février 1909). Un Lartigue d’avant-garde malgré lui, mais fasciné par la modernité, tout comme Guillaume Apollinaire qui déclare ex abrupto dans « Zone » (Alcools, 1913) : « À la fin tu es las de ce monde ancien ».
Comment s’est produit cet «accident» d’un point de vue technique? Lartigue a utilisé un appareil muni d’un obturateur à rideau. Cet obturateur est constitué d’une fente qui se déplace parallèlement devant la plaque sensible. La plaque n’est donc pas exposée sur toute sa surface en même temps. Cela ne pose pas de problème lors de prises de vues statiques. Mais s’il y a un mouvement (du photographe ou du sujet) la plaque ne recevant pas tous les éléments de l’image en même temps, cela créé des déformations.
Considérons que la fente de l’obturateur se déplace de bas en haut*. Il y a 3 sortes d’altérations de l’image dans ce cliché:
– Le plus simple est le flou de «bougé» du décor, qui est provoqué par le mouvement pivotant, de gauche à droite, du photographe qui suit la voiture dans son viseur.
– La déformation des roues est due à la vitesse (angulaire) de la voiture qui est plus grande que celle du photographe. Le bas des roues est imprimé sur la plaque au début de l’exposition, puis, pendant que la fente se déplace vers le haut, la voiture continuant d’aller plus vite que le photographe, les autres parties de la roue sont vues toujours plus à droite. Au final, ce jeu continu de transitions produit un ovale.
- La déformation des spectateurs est due au fait que, cette fois, la vitesse (angulaire) du photographe est plus rapide que celle des spectateurs (forcément, ils sont immobiles!) et l’effet est donc l’inverse de celui décrit ci-dessus.
Ce sont pour ces deux dernières causes qu’il convient de mentionner la théorie de la relativité. Cette image a figé dans un instantané, le déroulement du temps. Mais doit-on dès lors continuer à parler "d’instantané"?! Avec cette image, l’expression "L’espace d’un instant" semble vouloir prendre tout son sens. "Le temps n’est rien. Mais comme il n’est pas rien non plus, reste à penser qu’il est presque rien. Le temps, dit Jankélévitch, est un je-ne-sais-quoi." Ce je-ne-sais-quoi, est au coeur même de l’aventure photographique. Il en a conditionné l’existence, bouleversé les techniques, défini les constantes.
* En fait, la fente se déplace de haut en bas, mais les lois de l’optique inversant l’image sur la plaque, on peut considérer pour cet exercice, que la fente se déplace bas en haut. Signalons aussi qu’en réalité il s’agit de 2 lamelles qui, par leur écartement, produisent une fente. En variant l’écartement (en générale de l’ordre de 1 à 2mm), on produit un temps d’exposition plus ou moins long. Il faut donc bien distinguer dans ce cas, l’obturateur qui recouvre d’un tissus noir la quasi totalité de la surface de la plaque sensible (film) de la fente (Lumière) qui fait partie de cet obturateur. Considérons donc, que pour parcourir les 9cm de plaque sensible, la fente de 2mm laissera passer la lumière au 60ème de sec en parcourant les 9cm en 1 seconde. Soit 45 fois la fente. Il y a donc bien 45 instantanés dans cet instantané là!
La « n° 6 » de Lartigue, fut exposée pour la première fois… au MoMA de New York en juillet 1963, et publiée dans un portfolio de Life Magazine en novembre de la même année, dans le numéro consacré à l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Une reconnaissance qui a très vite contribué à faire de Lartigue, à 69 ans, le chef de file de la Nouvelle Vague new-yorkaise.
Jacques-Henri Lartigue est né à Courbevoie (France) en 1894. Dès l’âge de 6 ans il photographie sa vie, tous les jours, pendant 70 ans. Refusant d’inscrire son travail dans le marché de l’image jusque dans les années 1950, il reste un amateur, jouissant de la vie, dressant le journal photographique de sa jeunesse dorée et oisive puis de sa maturité.
A lire aussi: Panégyrique de l’accident photographique, par Clément Chéroux.
"Je ne suis pas photographe écrivain peintre, je suis empailleur des choses que la vie m’offre en passant ! Et répétait à qui croyait avoir fait une photo ratée : les insuccès sont tout à fait naturels. Ils sont une bonne leçon. C’est pourquoi il faut aussi conserver les photographies peu satisfaisantes car, dans trois, cinq ou dix ans, on y découvrira peut-être quelque chose de ce qu’on avait éprouvé jadis." – [J.H. Lartigue]
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Pour compléter ses connaissances sur J-H-Lartigue:
- Comprendre cette distorsion par l’illustration
- Slit-Scan Photography
- Association des amis de Jacques Henri Lartigue
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